DAVID LESCOT, auteur, metteur en scène, musicien…
Le Jazz et la Commune de Paris, celle de 1871, à ma connaissance, ne se sont jamais mariés. En tout cas pas publiquement. Quelle idée aussi, de les présenter l’un à l’autre, de raconter l’histoire de la Commune par le Jazz, par la musique improvisée. C’est tout sauf évident, c’est tout sauf naturel, c’est tout sauf attendu. Et donc il faut essayer de le faire.
Ça pourrait être un opéra, mais alors un opéra hybride, métis, où la musique écrite fait place en ses trous à l’improvisation, où le récit scandé, parlé, slammé, dialogue avec le chant, avec un chorus d’orgue ou un solo de batterie. Un opéra ou une rhapsodie, c’est-à-dire une forme cousue de plusieurs pièces, un opéra rapiécé, dont on verrait les coutures.
Parce que c’est épique la Commune, c’est fondateur et exaltant, ça se raconte bien, on pourrait en tenir le Journal, on pourrait faire comme si on y était, au jour le jour. Un opéra-Journal, si ça n’existe pas, inventons-le.
Mais c’est lyrique aussi la Commune. Comme toutes les grandes aventures politiques, ça dégage une émotion très particulière. Il y a des personnages, des héros, des figures, des légendes, des femmes. Il y a celle qu’on connaît, Louise Michel, la révolutionnaire la plus irréductible qu’on ait jamais connu, celle qui à peine sortie de prison repartait à l’assaut de nouveaux bastions. Celle qu’on connaît moins, mais qui gagne à être connue : Elizabeth Dmitrieff, envoyée par Karl Marx à Paris pour observer la Commune de plus près, et qui, une ceinture de cartouches à la taille, s’illustrait mieux que les hommes. Lissarrague, l’un des héros et chroniqueurs de l’événement, témoigne qu’elle était très belle, mais absolument imprenable.
C’est tragique et euphorisant, donc, La Commune, c’est utopique et pathétique. On peut se dire que c’est tombé dans la nuit de l’Histoire et que ça n’a pas eu de suite. Mais on peut au contraire y puiser des modèles pour les temps de crise, pour aujourd’hui, et s’y refaire des forces. Donc ça peut être chanté, à tous les sens du terme.
Je me suis livré à une première tentative de nouer la grande Histoire et le jazz. Ca a donné le spectacle « Tout va bien en Amérique », avec Benoît Delbecq, Mike Ladd, D’ de Kabal, Irène Jacob, Steve Arguelles et Ursuline Kairson, créé en 2013 aux Bouffes du Nord. Ça évoquait des bribes de l’Histoire américaine, et la musique détenait la dimension sensible du récit historique.
Maintenant c’est Emmanuel Bex qui me lance : » La Commune de Paris, le dernier communard sur la dernière barricade… »
Il a réuni autour de nous la chanteuse et comédienne Elise Caron, le slammeur Mike Ladd, la saxophoniste Géraldine Laurent, le batteur Simon Goubert. Difficile de résister à un attelage pareil.
Il y a dans la Chose Commune l’idée de mettre à égalité le texte et la musique, c’est-à-dire l’Histoire et la manière de la raconter, l’art et l’événement. Le jazz et la politique après tout, sont un peu frère et sœur, car ils doivent savoir improviser. Parfois il faudra raconter, Elise Caron et Mike Ladd, interprètes et improvisateurs, savent ce que parler veut dire. Et parfois juste laisser parler la poudre, c’est-à-dire ce qui sort du coffre de Géraldine Laurent ou des doigts de Simon Goubert.
Ce sera sans décor, dans la forme de l’adresse la plus directe et la plus brute, comme un concert. La Chose commune, ce serait un concert. Mais un concert d’aujourd’hui qui ferait remonter jusqu’à nous le monde d’hier, oui mais avec le son et les voix d’aujourd’hui. Et ainsi hier redeviendrait aujourd’hui, et aujourd’hui reprendrait sens et vie à la source d’hier.
Je rêve souvent d’une forme actuelle, active pour écrire, pour exprimer, pour raviver l’Histoire. Et je me dis que la Commune c’est une affaire de Résistance et de Révolution, comme le Jazz. Une Révolution éteinte, nous dira-t-on ? Oui, mais furieuse si on la réveille, je parie.
David Lescot
EMMANUEL BEX, compositeur, jazzman…
Je n’ai jamais eu envie de faire de la musique à poser sur une cheminée pour faire joli, mais plutôt de comprendre profondément de quoi le jazz était constitué.
Au terme de toutes mes recherches, j’y vois un indéfectible sens du dialogue, de la fraternité, de la danse, de la conscience du monde.
Alors que j’étais encore au conservatoire en train d’user mes fonds de culottes avec passion et à l’occasion d’une maladie à boutons, je me retrouve au fond de mon lit à m’ennuyer. Mon frère ayant pitié de moi, et voulant faire mon éducation, m’amènera un jour un disque d’un grand Jazzman. Et là… j’ai vécu une révélation que je vis toujours. La révélation d’une musique en mouvement, dans laquelle tout est possible, et son contraire aussi. Une musique ou chaque individu à une place qu’il peut se construire. Une musique dans laquelle l’écoute et le dialogue sont l’essentiel du rapport à l’autre.
La Commune a laissé dans l’Histoire une place particulière. C’est un peu la « matrice » de l’Utopie politique. Une large partie de la population s’est ralliée spontanément à ce mouvement. Et ce qui est extraordinaire et qui me passionne, c’est qu’il a été largement improvisé. Le Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis (ma ville), possède la plus grande collection d’archives de Commune dont je ne me prive pas. Elle est une source de réflexions et d’inspiration.
Après avoir traversé tant d’expériences artistiques différentes, après m’être concrètement engagé sur le terrain social et politique, j’ai envie d’emmener le public à un point où la Musique et l’Histoire s’éclairent l’une et l’autre. Comprendre le geste des révolutionnaires, comprendre le geste des musiciens.
Le déclic d’un « possible » a été la rencontre avec David Lescot. Je suis allé voir son spectacle « L’instrument à pression ». Un spectacle dans lequel la musique et l’intention de la musique sont intimement liées. J’ai vu à quel point son parcours particulier et son talent lui permettait de passer un musicien au rayon X. J’ai senti que j’avais à faire là, à quelqu’un qui pouvait traduire ce que le jazz a de « viscéral ».
Il a montré à travers d’autres de ses œuvres qu’il est un auteur engagé qui sait magnifiquement parler de l’Homme à travers des moments forts de l’Histoire. Il n’avait encore rien produit sur la Commune. J’ai de la chance !
Pour écrire le livret, je fais appel à celui qui pourra le mieux traduire ce récit dans le cadre de la musique de jazz et de la musique improvisée. Parce que lui-même est un auteur et un metteur en scène de théâtre contemporain reconnu largement. Mais il est aussi un musicien de jazz. Ses œuvres sont traversées par cette musique. C’est David Lescot.